« Rouge », de Farid BENTOUMI, en avant-première lors du Festival Lumière 2020

Dans le cadre du Festival Lumière 2020, jeudi 15 octobre 2020, Farid BENTOUMI, le réalisateur, Zita HANROT et Céline SALLETTE, les 2 principales actrices, et une partie de la direction de la production, sont venus présenter à l’UGC Ciné Cité Confluence, en avant-première « Rouge », film engagé sur la pollution industrielle que l’on cache sournoisement et méthodiquement au hasard des reliefs, des réglementations, et des compromis sociaux-économico-politiques mettant la question sanitaire sous cloche.
Farid BENTOUMI s’est inspiré de faits réels (nombreux) pour écrire Rouge, sitôt le choix de Zita HANROT fait pour l’héroïne principale, a réécrit une partie du rôle de Céline SALLETTE, pour cause de maternité en cours.


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Nour (Zita HANROT) est infirmière quand un malade qu’elle réceptionne aux urgences décède brutalement. Une enquête a lieu pour établir les faits et sa responsabilité. La confrontation entre Nour et l’épouse du défunt est particulièrement difficile, mais significative de la dureté du métier d’infirmière malgré un engagement sans faille.
Nour rejoint alors l’entreprise, Arkalu, où travaille son père, Slimane (Sami BOUAJILA, magistral et authentique). Son père est responsable syndical et lui a permis de trouver ce poste, sans doute après qu’elle a quitté le service des urgences, contrainte par les circonstances et un jugement défavorable, nuisible à son déroulé de carrière.
D’emblée, lors d’une auscultation de routine, Nour remarque des absences de contrôles, de suivi d’un malade, sur une longue période, et curieuse et conscienceuse, découvre que c’est le cas de plusieurs malades, et que ces malades ont un point commun : ils travaillaient tous dans une zone mythique dénommée « Le Lac ».
Au même moment, l’entreprise attend le renouvellement d’une autorisation à rejeter certains déchets chimiques, et une campagne électorale locale bat son plein pour l’élection d’une nouvelle équipe municipale. À l’occasion d’un meeting politique, on comprend l’importance de l’entreprise, principale employeur de la commune et du canton, où chacun a au moins un membre de sa famille, sinon plusieurs travaillant pour Arkalu, ou en dépendant, créant ainsi une imbrication d’intérêts multiples et contradictoires, et aussi familiaux. Par exemple, la soeur de Nour se marie avec un des cadres d’Arkalu.
Ce même meeting est aussi l’occasion pour Emma, journaliste de poser des questions qui dérangent, sur la pollution du site, bientôt rejointe par Nour qui veut en savoir plus et qui livre aussi des informations alimentant la quête d’Emma.
Nour et Emma font cause commune, mettant Nour dans une situation embarrassante par rapport à toute sa famille, et notamment par rapport à son père à qui elle doit son nouveau travail.
Emma montre le Lac à Nour qui comprend mieux le problème de la pollution générée par les rejets d’Arkalu, et accepte de prélever dans l’entreprise les rejets qui désormais seraient mieux gérés et moins dangereux que lors des décennies précédentes, prenant de grands risques pour faire éclater la vérité et le scandale.

Le film est très bien cadencé, pragmatique dans sa disposition du cadre de l’action et des personnages, direct, précis, sobre, sans atermoiements, et très réaliste quant à la trame des relations humaines, allant de l’amour familial à l’intérêt économique primaire, en passant par la ferveur des groupes ou leurs oppositions.

Les actrices et les acteurs s’inscrivent bien dans l’action du film, sans jamais le déséquilibrer, et donnent corps à une vraie famille, multidimensionnelle et dynamique, où chacune et chacun confortent les autres dans le dialogue ou la confrontation.

« Rouge » est une vraie histoire d’aujourd’hui, ou même des 150 dernières années avec l’irruption de l’industrialisation massive et polluante, dégradant et détruisant notre environnement, et nos écosystèmes de manière irréversible. L’histoire du combat personnel de Zita et d’Emma rejoint l’idée que chacun est maître de son destin, et du destin collectif, à la force de convictions concrètes et d’un engagement pragmatique.

Sans manichéisme, « Rouge » jette un constat froid et lucide sur les arbitrages, les renoncements, et les contradictions factuelles devant lesquels nous nous trouvons, sans verser dans le pathos ou le slogan écologique simpliste.
« Rouge » n’est pas un film militant, en tout cas, pas au premier degré, pas au au sens où il nous dirait explicitement quoi penser, quoi faire, et ne s’encombre pas de sur-histoires même si des récits familiaux participent du déroulé de l’action.

« Rouge », oeuvre actuelle et d’actualité, démonte bien les mécanismes à l’oeuvre dans l’acceptation et la création de la pollution hors de notre vue, qui rejaillit sous la forme d’épidémies de maladies variées et graves près de zones d’activité industrielle, et de la destruction de l’environnement naturel, considérées comme des maux nécessaires.

« Rouge » de Farid BENTOUMI rejoint quelques jours plus tard, la mer Méditerranée devenue rouge elle aussi dans le film de Jonathan NOSSITER, « Last Words ». C’est normal, « Rouge » a situé Arkalu dans les Alpes probablement, et les rejets toxiques d’Arkalu rejoignent donc le Rhône, puis la mer Méditerranée, pour aboutir au désastre écologique et humain.

« Rouge » sort sur vos écrans le 25 novembre 2020.

Rejoignez Nour et Emma, et les autres.

Gérard Sanchez




« Des hommes », de Lucas BELVAUX, en avant-première au cinéma Pathé Bellecour, le dimanche 11 octobre 2020, dans le cadre du Festival Lumière 2020

En avant-première, Jean-Pierre Darroussin et Lucas Belvaux ont présenté le film « Des hommes » traitant de la Guerre d’Algérie à travers plusieurs protagonistes qui en sont revenus avec leurs blessures, leur conscience meurtrie, ou leur haine, leurs traumas, et des changements profonds, pour eux-mêmes et leurs proches.

Porté au présent principalement par le trio constitué par Catherine Frot, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Depardieu, et au passé par l’autre trio Yoann Zimmer, Félix Kysyl, et Edouard Sulpice.
Le film mêle instants présents, flash-backs et voix off des personnages aux-mêmes.

Bernard (Gérard Depardieu) s’agite dans une ferme délabrée pour retrouver une broche précieuse qu’il va offrir à sa soeur Solange (Catherine Frot) pour son anniversaire, en témoignage de son affection bourrue et maladroite. Malheureusement ces retrouvailles sont aussi l’occasion d’un incident raciste lors duquel Bernard s’en prend à un employé maghrebin de Solange. Il faut la force de 4 hommes pour faire sortir le colosse enragé, qui entreprend alors de se rendre au domicile de l’employé de sa soeur, et d’agresser ou pire, son épouse, tuant leur chien à coups de pelle.
Bernard et son cousin Rabut (Jean-Pierre Darroussin) sont envoyés en Algérie pour y faire la guerre. Dans un premier temps, celle-ci prend l’allure de l’attente de leurs ainés avec l’invasion allemande, une sorte de routine, entre ennui, parties de cartes, permissions, bordels, relations sentimentales, bières et bagarres, jusqu’aux premiers viols, jusqu’aux premiers meurtres, aux premières tueries, lors de raids meurtriers dans des villages à la recherche des Fellaghas et de leurs soutiens. Ces raids et les actes odieux commis par certains soldats font éclater des dissensions parmi les appelés qui ont tous une mémoire proche de l’occupation allemande, une histoire familiale de résistance et/ou de collaboration, et des morts, tués par l’occupant, tenant ainsi une forme de justification ou de légitimité de leurs actions et de leur opinion.
La mécanique de la haine devient implacable lorsque le médecin, figure sacrée en période de guerre, s’occupant des hommes du poste est retrouvé mort, manifestement torturé par les Fellaghas, puis lorsque les hommes du poste restés sur place lors de la permission de leurs camarades sont massacrés, à l’arme blanche pour certains, avec l’ingénieur du poste et sa famille, par ces mêmes Fellaghas.
D’extérieure et imposée, cette guerre devient pour une partie de ces appelés du contingent, une affaire personnelle et intérieure. Les Harkis qui les accompagnent et combattent avec eux deviennent suspects. Quant aux Fellaghas, les appelés, animés par l’esprit de vengeance et la haine, ne les nomment plus désormais que de manière raciste et vindicative.
De retour en France, Bernard, marié à la fille d’un colon, échoue dans sa tentative de monter un garage, et échoue dans la maison familiale, qu’il occupe alors entièrement au décès de sa mère, ruminant son mal-être, sa violence, et sa haine, qu’il retourne en fait contre toutes et tous : lui-même, sa famille, ses proches et les maghrebins. Néanmoins, Bernard était déjà de nature violente avant son départ pour l’Algérie. La Guerre d’Algérie n’aura fait qu’exarcerber son être profond.

Le sujet, difficile, est traité de manière sobre et équilibrée, en s’appuyant sur de nombreux archétypes, figures ou situations bien souvent rencontrées et très réelles, qui font inévitablement écho à la mémoire personnelle de chacun, dans tous les camps, et dans toutes les chaumières aussi.

Généralement éloignés des combats, des guerres, nous comprenons sans doute mal ou ne ressentons pas ce que peut signifier faire la guerre à 20 ans, ou même parfois moins. Nous sommes encore plus démunis pour appréhender ce que subir une guerre peut générer.

Ce film remet « Des hommes » dans leur position de simples mortels marqués par la finitude dans des situations infiniment inhumaines, et l’incapacité d’une rédemption collective ou individuelle par choix délibéré.

Thierry FREMAUX, jean6pierre DARROUSSIN et Lucas BELVAUX, lors de l’avant-première du film « Des hommes », le dimanche 11 octobre 2020, au Pathé Bellecour

Gérard Sanchez




« Au crépuscule », de Sharunas BARTAS, en avant-première au Festival Lumière 2020

En avant-première, lors du Festival Lumière 2020, le mardi 13 octobre 2020, au Comoedia, Sharunas BARTAS est venu pour présenter son film « Au crépuscule ».

Sharunas BARTAS est un grand réalisateur lituanien, et sans doute conscient qu’il est un lien entre les derniers survivants de la 2ème Guerre Mondiale, et les générations Y ou Z, a réalisé « Au crépuscule » un film témoignage sur son pays au moment de l’arrivée (ou plutôt du retour) des soviétiques en 1944, histoire finalement peu connue de l’autre côté de ce qui était le Rideau de Fer, qui se doublait aussi d’un silence de plomb.

Pays balte, la Lituanie est un concentré de particularismes, qui a résisté aux écrasants voisins comme l’Allemagne et la Russie, mais aussi les pays scandinaves.
L’angle d’approche est intimiste, sans fanfare ni trompettes, s’ancrant dans la vie quotidienne de peu de familles d’un tout petit village rural, dur, gris, boueux, pauvre, qui voit ressurgir quelques troupes soviétiques, après avoir subi l’invasion et les destructions des armées nazies. Les repas sont des soupes claires, avec quelques légumes, et un pain noir, ou du bortsch. L’eau est puisé dans un puit, la toilette quotidienne est rapide, et économe en eau, le poêle à charbon est alimenté de quelques petits morceaux de bois.
Il n’y a aucun misérabilisme, pas plus qu’il n’y a d’emphase dans le témoignage de la lutte.
Il y a tout d’abord ce jeune homme, Unte, qui entre dans une maison où un homme vient d’être exécuté, sa femme semble avoir été violentée, leur enfant est là, et la mère de l’homme exécuté pleure la mort de son fils, se lamentant sur son sort prochain.
Unte est le fils (adoptif) de Jurgis Pliaugas, un cocher, devenu majordome, puis époux de la fille de son ancien maître, et méprisé et repoussé par celle-ci, suite à une fausse couche dont il est responsable.
Un groupe d’hommes du village est dans la forêt, vivant de manière clandestine, et tente de s’opposer aux troupes soviétiques. Unte et Jurgis sont en relation avec ce petit noyau de partisans anti-soviétiques.
Rapidement, on s’aperçoit des différences de classe entre certains personnages, et des différences de richesse aussi, liée essentiellement à la possession de la terre, dure à travailler, peu productive en cette contrée du Nord de l’Europe. Certains travaillent sur la terre des autres, au service des autres.
Quelques jalousies naissent, des rancoeurs aussi, et des trahisons.
Ainsi, le petit noyau anti-soviétique finit-il par être éliminé lors d’une brève attaque surprise, trahi par son propre leader. Unte retrouve Jurgis dans une prison, qui vient de subir un traitement de choc de la part du NKVD, en attente probablement d’un départ vers la Sibérie.

Ce film aux images particulièrement soignées, à la photographie superbe, fait sans doute écho à un film estonien « Crosswind » évoquant un autre épisode triste ayant eu lieu quelques années auparavant, en 1941, la déportation de 40000 Baltes vers la Sibérie, sur des bases généralement arbitraires ou s’inscrivant dans un schéma de lutte des classes revisité par Staline. Avec « Katyn » de Wajda, à la fois plus lyrique, plus désespéré, plus spectaculaire, plus brutal, plus violent, plus démonstratif, nous avons là un tryptique, un triptyque involontaire, mais intéressant, sur le soviétisme réel vu et vécu par des pays se rattachant à l’Europe centrale, à l’Europe du Nord.

Malgré un possible parti pris, le film reste très neutre, sans lyrisme, sans grandiloquence. Tout est incroyablement réaliste, pondéré, mesuré, calme, presque froid. Il n’y a pas de jugement de valeur, il n’y a pas de dénonciations latentes ou implicites.
Le militaire qui officie comme commissaire politique joue le jeu du collecteur d’argent pour son pays avec des villageois démunis de tout, et qui pour certains, ne mangent même pas à leur fin. Quand ces derniers quittent la scène, il dit bien qu’il savait qu’il n’y aurait rien à tirer de ce village comme ressources monétaires. Le commissaire politique a été dans son rôle, mais sans surenchère, et sans cruauté.

Peu de films lituaniens arrivent réellement jusqu’à nous. D’une certaine manière, « Au crépuscule » pourrait apparaître comme l’antithèse visuelle et propositionnelle de « Summer » autre film lituanien sorti récemment, alors que globalement, il en a le même rythme, et le même positionnement « Je suis au monde simplement ».

Sharunas BARTAS lors de la présentation de son film « Au crépuscule », le mardi 13 octobre 2020, au Cinéma Comedia

Gérard Sanchez




« Last Words » de Jonathan NOSSITER en avant-première au Festival Lumière 2020

Dimanche 18 octobre 2020, lors du Festival Lumière 2020, Jonathan Nossiter, le réalisateur de Mondovino est venu présenter, à l’UGC Ciné Cité Confluence, en avant-première, son film « Last Words » sélectionné pour le Festival de Cannes 2020 et pour le Festival du Cinéma Américain de Deauville 2020, avec Nick Nolte, Charlotte Rampling, Stellan Skarsgård, Alba Rohrwacher, Myriam d’Abo, et Kalipha Touray, soit une distribution impressionnante.

Jonathan Nossiter, dimanche 18 octobre 2020, lors du Festival Lumière 2020, à lUGC Ciné Cité Confluence.
Jonathan NOSSITER, dimanche 18 octobre 2020, lors du Festival Lumière 2020, à l’UGC Ciné Cité Confluence.

Le film évoque de nombreuses oeuvres telles « The baby of Macon », « Le dernier combat », « La Belle Verte », « Robinson Crusoé », « Sauvages » ou encore « Soleil vert ».

« Last words » est un plongeon spectaculaire dans un monde post-apocalyptique écrasé par le soleil, la solitude, l’incertitude, la misère, la déchéance humaine, la mort et les souvenirs de la vie d’avant portés par les restes de la cinémathèque de Bologne.
Les villes européennes sont des champs de ruine, les routes sont devenues des chemins caillouteux impraticables, cernées par de vastes déserts de pierres.

Le hasard de dramatiques circonstances mène Kal (Kalipha Touray), parti d’un Paris fantomatique, à Shakespeare (Nick Nolte), centenaire encore très vif, et réfugié dans les décombres de la cinémathèque de Bologne, où, en l’absence de courant électrique, il a bricolé un projecteur fonctionnant grâce à une dynamo actionnée par un vélo fixe.
Il initie ainsi Kal au cinéma, à la magie de la projection de vieux films, et à la vie telle qu’elle était avant la catastrophe.
Motivé par l’espoir de transmettre à Kal, Shakespeare fabrique même de la pellicule pour films, et donne les éléments nécessaires à Kal pour reconstituer une caméra des origines

Tous les deux ont lu quelque chose à propos d’un appel, qui les fait marcher jusqu’à Athènes, avec la pellicule vierge, des films, le projecteur et la caméra des origines en devenir, pour finalement retrouver des espaces verdoyants mais impropres à produire de la nourriture, et d’autres survivants, une collection d’individus hagards, hébétés, illuminés aussi, errant entre les colonnades d’une improbable Acropole, chacun parlant sa propre langue, sans nécessairement comprendre l’autre, tels les humains après la chute de la Tour de Babel. Oui, Babel s’est écroulée.
Les projections de films fédèrent tous les survivants et parviennent à leur arracher sourires et rires, affection et tendresse, comme manifestation d’un espoir intérieur, seuls moments où nait une forme d’unité.
Kal finit par reconstruire une caméra qu’il actionne grâce à une manivelle, et filme la vie dans ce campement improvisé, et la mer, devenue rouge.
Cette caméra et ces projections participent de la scène théâtrale de l’Acropole, vaste déambulatoire de pantomimes désarticulées, sans passé, ni futur, qui ne constituent même pas une communauté organisée, dans ce haut lieu, à la fois ultime refuge de la population athénienne en cas de danger, symbole de la démocratie grecque, et terre de naissance du théâtre, et dont même le souvenir semble avoir été effacé des mémoires, pour ne plus rien signifier.

Un médecin se dévoue pour la santé des autres, mais finit aussi par les euthanasier, subrepticement, à la faveur de la nuit. Une jeune femme essaie de faire pousser des plants pour se nourrir. Une femme âgée (Charlotte Rampling) tombe enceinte, et décède suite à l’accouchement. Les mois passent, les décès se succèdent. Bientôt, seuls demeurent Kal et Shakespeare, puis Shakespeare meurt aussi, laissant Kal seul, avec son témoignage que peut-être personne ne verra, mais vous pourrez le voir, car la fin de l’humanité n’est pas encore advenue.

« Last words » ou les derniers mots reviennent peut-être à l’Humanité.

Gérard Sanchez